"Un texte intriguant..." Emmanuelle Mounier
Elle attendait. Ils lui avaient dit 19h. D’être là. Il était 15h30, elle était prête, elle avait mis sa robe de velours rouge. Elle s’était préparée à ce rendez-vous depuis son réveil vers 9h. Elle avait d’abord tout nettoyé, son appartement sentait l’encaustique et rien ne traînait. Puis elle s’était détendue avec un bain chaud durant lequel elle se remémorait les mots au téléphone : « Etre là… ne pas sortir…nous viendrons… vous saurez… » Elle sentait une douce excitation l’envahir et elle sortit d’un coup du bain comme saisie par l’urgence d’être prête.
Il était 15h30, elle ne quittait désormais plus le canapé, face à la fenêtre, le regard absent sauf pour scruter régulièrement le réveil posé à côté d’elle. Elle ne pouvait rien faire d’autre. Ce temps qui lui restait, elle voulait à la fois en jouir et le craindre. Dans le silence qui régnait dans son deux-pièces aux reflets grisâtres on entendait le tic tac lancinant du réveil et rarement le bruit étouffé d’un moteur de voiture, une portière claquer. Elle savait qu’à 19h, elle entendrait plusieurs portes claquer. Il avait dit « nous ».
Et puis il y avait eu ces appels. Toujours à la même heure, le même jour, chaque semaine, jusqu’au rendez-vous donné le dernier jour des poissons, le 25 mars, quand l’année commencerait. Il ne lui restait que quelques heures du temps sacrificiel de sa foi.
Elle essayait de se rappeler les voix, de belles voix sonores et graves, des voix d’hommes mûrs lui semblait-il. Absente de sa parole, elle serait là. A 19h.
Emmanuelle Mounier