"Dévoré deux fois!" ... Nic Tallop

La Conspiration des Poissons

Sabine Revillet

Ce court roman – que j’ai dévoré deux fois plutôt qu’une avec passion – témoigne d’une écriture foisonnante et d’une parole vive qui font penser à l’univers de Boris Vian rencontrant celui de Burroughs. Se démarque aussi un sens aigu du dialogue (d’ailleurs l’auteure est aussi dramaturge).

Dans une somptueuse demeure située à l’écart d’une grande ville, Bronson, (une allusion à Charles Bronson?), est l’employé mythomane en charge de l’aquarium privé d’un homme politique fasciné par la vie sous-marine et animalière (nous ne dévoilerons pas pourquoi, cette information participant à la chute étonnante du roman). Cet homme aux moyens financiers importants accumule les espèces rares et en voie de disparition, comme il rassemble sous ses ordres des employés tout aussi originaux (Sharon la gardienne kényane de zoo aveugle, Abel le chauffeur unijambiste, Shing Zi la kleptomane gaie responsable de la collection de téléviseurs, etc.) Lorsque le politicien demande à ses employés de tout détruire, une bataille souterraine est déclenchée entre les employés et leur patron, mais aussi entre les employés eux-mêmes, certains magouillant pour tirer profit d’une fausse destruction, d’autres cherchant à préserver le patrimoine mondial et culturel.

Jonglant habilement entre polar, écriture éclatée et roman de l’intimité, le texte porte une touchante humanité et dévoile les travers de l’individu écartelé entre son propre intérêt et l’intérêt collectif. D’ailleurs, les personnages se contredisent souvent eux-mêmes (“Oui, c’est à dire non, c’est à dire oui” / “Je n’ai jamais dit ça ou enfin si, mais pas aujourd’hui”) ou questionnent leurs propres paroles au moment même où ils les énoncent (“Pâle lueur du soir Tu n’es pas pâle Tu n’es que lueur Alors pourquoi je dis pâle?”), procédés parmi d’autres qui servent à appuyer leur complexité, de la même façon qu’ils sont à la fois les conspirateurs et les victimes de leur conspiration.

Une profonde réussite.

Nic Tallop