"La langue n'est pas insipide, mais elle ne dit rien" Manoell Bouillet

Les maquereaux ne sont pas une espèce en voie de disparition. Voilà tout ce que sait Francis de ces poissons fades. Il ne peut pas dire s'ils viennent de la mer ou de l'eau des rivières puisque les seuls maquereaux dont il a le souvenir sont ceux que son père transperçaient par les yeux à l'aide d'un bout de bois, qu'il entortillait autour d'une ficelle pendue en guirlande sous le manteau de la cheminée. Les maquereaux séchaient là deux jours au moins, deux jours en moins pour se planter, cul aux flammes, pendant l'heure pénible des repas où la télévision crachait des informations que personne n'écoutait.

Francis est un bon bougre qui remonte scrupuleusement sa braguette après avoir secoué et rentré sa manivelle sous le flip, contrairement à Jean-Paul, qui la laisse ouverte pour attaquer plus vite.

Voilà toute l'histoire. Francis, Jean-Paul. Deux garçons d'un même village. L'un devient vaurien sans surprise, l'autre berger sans histoire. « La conspiration des poissons », a-t-elle pour objectif de rendre muette toute parole qui tente de cerner ce qu'elle raconte ? Deux pages par deux pages, la lecture avance péniblement, le livre léger tombe des mains, les paupières se ferment et ne s'ouvrent que trois heures plus loin pour éteindre la lumière et rager d'avoir perdu la page. La langue n'est pas insipide, mais elle ne dit rien. De flocons pour poissons rouges dont on ne voit pas les dents.

La conspiration est-il l'exemple type d'un produit qui atteint la notoriété par un système de crowdfunding efficace ? Un bocal à poisson dont on se satisfait pour pallier la confiscation de la mer par les algues vertes ?

Sabine Revillet nous avait habitué à plus de rebondissements, de prises de risque, d'inventions. La lecture de son précédent roman à l'histoire irracontable, du propre aveu de l'auteure, plaçait le lecteur au même endroit que le spect-acteur d'une exposition de Francis Bacon : Ses monstres irréalistes, fantastiques, nous sommes sûrs de les connaître. Les interviews de l'auteure disent à quel point, l'auteure, est ignorante des soubassements de son imaginaire, mais jusqu'à présent, elle avait pris le parti de leur faire confiance.

Manoell Bouillet